Par Bill et Melinda Gates
Le retard de croissance est l'un des indicateurs les plus puissants dans le domaine de la santé publique, mais aussi l’un des plus complexes.
Les enfants souffrant d’un retard de croissance ont un déficit de taille par rapport à leur âge supérieur à un certain pourcentage. Mais ce n’est pas la taille d’un enfant qui nous préoccupe ; le retard de croissance est un signal de problèmes beaucoup plus importants ayant trait au développement cognitif, émotionnel et physique des enfants. Le retard de croissance est l’opposé du bien-être, et c’est la raison pour laquelle nous le qualifions d’indicateur si puissant.
Mais il est complexe parce qu'il est causé par une multitude de facteurs qui s'accumulent au fil du temps, de la santé de la mère à l'alimentation de l'enfant, ses antécédents médicaux ou encore des facteurs environnementaux. Nous n’en comprenons pas encore parfaitement les causes premières, et aucune intervention ne peut à elle seule le prévenir. Il faut donc y faire face au moyen d’une combinaison d’interventions. Nous avons passé beaucoup de temps récemment à discuter avec des experts mondiaux de la question pour mieux comprendre le retard de croissance et les solutions qu’on peut y apporter. Alors que les experts et praticiens en matière de développement continuent d'étoffer le corpus de données factuelles sur la question, les pays doivent intensifier les interventions en matière de santé et de nutrition ayant fait leurs preuves de manière à résorber sensiblement le retard de croissance.
L'expérience du Pérou est impressionnante : en effet, ce pays a surmonté en grande partie la complexité du sujet en se concentrant sur des solutions ayant fait leurs preuves. Le pays a ainsi prouvé qu’il est possible d’apporter des solutions au problème du retard de croissance lorsque les dirigeants sont résolus à se fier aux éléments probants.
Nous avons demandé à Milo Stanojevich, directeur pays de CARE Pérou, et à Ariela Luna, ancienne ministre adjointe du Développement et de l’Évaluation sociale du pays, de nous expliquer en quelques mots comment le Pérou est parvenu à progresser autant en si peu de temps.
Milo Stanojevich
Directeur national, CARE Pérou et président, Réseau de la société civile SUN
J'ai grandi au Pérou, puis j’ai quitté le pays un temps, et y suis revenu 13 ans plus tard en 2005. J’ai découvert un pays différent, à revenu intermédiaire.
Pourtant, notre taux de malnutrition était toujours celui d'un pays à faible revenu. Le gouvernement avait essayé de lutter contre le problème au moyen de programmes alimentaires traditionnels, mais ces interventions qui ne traitaient pas les questions de santé et de nutrition de manière plus globale n’avaient aucune chance de réussir.
CARE Pérou venait d'achever un programme d'envergure, financé par l'USAID, avec une approche différente. Nous avions combiné toute une série d'investissements dans les domaines de la nutrition, de la sécurité alimentaire, de l'eau et de l'hygiène, et de la santé dans 1 200 communautés, avec des résultats extraordinaires. Nous avions réduit la malnutrition chronique de ces communautés de 10 %. Parce que nous voulions que le gouvernement reprenne les enseignements que nous en avions tirés, nous avons, en partenariat avec d'autres ONG et des organismes de l’ONU, créé l'Initiative contre la malnutrition infantile juste avant l'élection présidentielle de 2006.
Nous avons expliqué aux candidats que le retard de croissance était le noyau dur de la pauvreté au Pérou, parce que le fait que 30 % des enfants souffraient de malnutrition chronique avait d'énormes répercussions sur l'ensemble du pays. Nous leur avons également fait part de données probantes sur une série d'interventions qui fonctionnaient de manière satisfaisante. À problème clair, solution claire. Nous avons obtenu la signature par tous les principaux candidats de ce que nous avons appelé l'engagement 3x5 : réduire de 5 % en 5 ans le retard de croissance chez les enfants de moins de 5 ans.
Après l'élection du président Alan García, le Premier ministre a réitéré l'engagement du président lors d’un discours devant le Congrès. De notre côté, c'était l'euphorie. À la télévision, devant l'ensemble du peuple péruvien, le gouvernement promettait de lutter contre la malnutrition chronique. Dans les faits, le président García s'est finalement engagé à faire encore plus : à réduire le retard de croissance de 9 %, objectif qu'il a d'ailleurs atteint. La nutrition était devenue une priorité nationale.
En 2011, suite à un changement de gouvernement, nous avons tout recommencé. Et de nouveau l'an dernier. Nous voulions qu'une question sur la nutrition soit posée au cours des débats présidentiels ; nous avons donc fait appel à nos réseaux, et 2 000 personnes ont envoyé la même question à la commission électorale, qui a été posée par le modérateur : « que ferez-vous pour continuer à réduire la malnutrition chronique dans le pays ? »
Si nous sommes fiers de notre activisme, il n’est cependant pas suffisant pour faire passer les programmes à l’échelle nécessaire. Il faut pour cela les adapter au mode de fonctionnement de l’État, et nous n'avions pas toutes les réponses pour ce faire. Mais nous savions qu’il était essentiel de bénéficier d’un engagement politique au plus haut niveau, d’une stratégie qui coordonne les interventions entre tous les ministères et les différents niveaux administratifs, et d’investissements accrus dans la nutrition. Nous avons maintenu la pression, conservé nos appuis sous trois gouvernements différents – et le gouvernement a fait de ce projet une réalité.
Le maïs, suspendu ici devant les maisons pour sécher, importante source d'alimentation au niveau local. (Sogobamba, Pérou)
Agents de santé examinant la courbe de croissance d'un enfant tout en parlant à une maman au cours d'une visite à domicile. (Sogobamba, Pérou)
Agents de santé utilisant une tablette pour glaner des données sur la santé et le développement en parlant à une mère de son fils au cours d'une consultation de contrôle. (Sogobamba, Pérou)
Agent de santé expliquant une courbe de croissance d'enfants dans un centre communautaire maternel et infantile local qui suit les interventions et le poids de chaque enfant de moins de 3 ans. (Sogobamba, Pérou)
Mère tenant la tête de son bébé pendant qu'on le mesure dans un établissement de santé local. (Potracancha, Pérou)
Infirmière mesurant le périmètre crânien d'une petite fille dans un établissement de santé pour comparer son développement aux moyennes internationales pour les enfants de son âge. (Acomayo, Pérou)
Infirmière mesurant un petit garçon dans un établissement de santé au cours d'un contrôle de routine. (Acomayo, Pérou)
Infirmières d'un programme de santé local conseillant une maman sur la meilleure manière de prendre soin de ses jeunes enfants. (Acomayo, Pérou)
Les parents apprennent les bonnes pratiques d'alimentation, telles que l'allaitement exclusif au cours des premiers mois de la vie et une alimentation complémentaire comprenant des aliments disponibles au niveau local au cours des mois suivants.
Ariela Luna
Ancienne ministre adjointe du Développement et de l’Évaluation sociale, Pérou
Nous avons commencé par élaborer un modèle de causalité pour réduire la malnutrition infantile chronique fondé sur les données scientifiques disponibles, nous avons obtenu l’adoption de ce programme par toutes les parties prenantes.
Ensuite, nous avons accordé la priorité à deux interventions à fort impact, efficaces et efficientes : la vaccination des enfants et le suivi et l'orientation des mères, pour leur expliquer comment faire pour que leur bébé et elles-mêmes restent en bonne santé et bien alimentés, au cours des 1 000 premiers jours qui vont de la conception au deuxième anniversaire de l'enfant. On peut créer un excellent programme avec une vingtaine d'interventions, mais il ne pourra jamais être mis en œuvre. Il était donc important d'établir et de repenser les priorités.
Le secteur de la santé a travaillé de manière très efficace avec le ministère de l'Économie et des Finances. Nous avons mis en œuvre une stratégie budgétaire basée sur les résultats et créé un Programme nutritionnel articulé, qui nous a permis de remanier le budget existant et de le réorienter sur la malnutrition chronique. C'est ce qui a convaincu le ministre de l'Économie et des Finances, qui a tendance à dire : « si ça doit coûter cher, ce sera sans nous ». Mais personne ne s'oppose aux initiatives en faveur des enfants lorsque les solutions sont prouvées et abordables.
Au début du programme, nous avons ciblé les régions du pays où les taux de retard de croissance étaient les plus élevés, et nous avons commencé à budgétiser en fonction des besoins de chaque centre de soins de santé et à suivre les résultats. À chacune de mes visites de contrôle, il était impossible de me mentir, parce que les évaluations étaient constantes, n’intervenant pas seulement une fois par an, mais tous les jours si possible.
Personne ne s'opposera à des initiatives en faveur des enfants lorsqu'il existe des solutions d un coût raisonnable et qui ont fait leurs preuves.
Notre capacité à mesurer les résultats nous a permis de proposer des incitations aux administrations régionales dont la performance était élevée, ce qui a accéléré les progrès. D’abord, nous avons retenu une petite partie du budget affecté par le ministère de la Santé jusqu’à ce que les régions aient atteint les objectifs clés. En l’espace de six mois, la quasi-totalité des régions du pays avaient adopté les bonnes pratiques, auparavant négligées.
Nous avons également attribué des fonds supplémentaires aux régions qui investissaient dans les infrastructures dont elles avaient besoin pour atteindre les objectifs adoptés. Pour fabriquer une chaussure, il faut du cuir, des ciseaux et des cordonniers. Et pour mettre en œuvre un programme de vaccination, il faut des infirmiers et des fournitures. Les régions mettant ces éléments en place recevaient un budget plus important.
Avec ces deux incitations, nous pouvions être sûrs que les centres de santé étaient prêts pour les travaux quotidiens. Et ce sont eux qui ont changé la vie des enfants du Pérou.
Aujourd’hui, notre pays est parvenu à réaffecter ses ressources pour aider des millions d'enfants à se libérer de la malnutrition infantiles chronique. Et le mieux dans tout cela, c'est qu'elle continue à baisser au Pérou.
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